Dernièrement on m’a demandé mon avis concernant un article paru dans le magazine Bon à Savoir.
Quand j’ai lu l’article (que vous trouvez en bas de cette page) je n’ai pas pu m’empêcher d’écrire à leur rédaction, voici ma lettre (qui ne sera certainement pas publiée, donc je vous la partage):
Je suis navrée de voir encore tant de mensonges et d’idées fausses véhiculées aujourd’hui, surtout dans le Bon à Savoir, qui est censé mettre l’intérêt du consommateur en avant.
Nous sommes en 2020 et il est aujourd’hui inacceptable pour un.e diététicien.ne de simplement régurgiter ce que le manuel de cours, agréé par la SSN (et ses donateurs bien connus, comme Nestlé, Danone, Emmi, Viande Suisse, Coop, Migros, Unilever et j’en passe) nous dit, sans faire des recherches indépendantes sur le sujet.
Alors pour vous aider à faire la part des choses, voici ce que dit la recherche indépendante en nutrition sur les sujets abordés dans cette article.
Le mythe des protéines
Le premier argument qui concerne l’absorption des protéines devrait être mis en avant avec les recommandations de l’OMS. L’OMS nous recommande 10% des calories journalières (ou 0.8g/kg de masse corporelle saine) sous forme de protéines, soit environ 46g pour les femmes et 56g pour les hommes. En admettant que l’absorption des protéines végétales soit inférieure d’environ 10% par rapport à la viande (ce qui est discutable car lorsque l’on cuit les céréales et légumineuses, ce taux d’absorption augmente), même en rajoutant ces 10%, nous sommes encore à une quantité très facile à obtenir par une alimentation végétale, soit 51g pour les femmes et 62g pour les hommes.
Pareil pour les sportifs, si l’on augmente les 0.8g/kg recommandés par l’OMS aux 1.2 – 1.4g/kg accepté dans le monde du sport, nous sommes toujours à des quantités de protéines extrêmement faciles à obtenir avec une alimentation végétale.
L’Adventist health study et la EPIC Oxford study, particulièrement intéressantes pour étudier les différences d’alimentations dans les populations occidentales, nous montrent que les végétariens et véganes sont à peu près à 70g de protéines par jour. Bien au dessus des recommandations, sans effort particulier. Il serait donc judicieux d’arrêter de propager des idées fausses au détriment de la santé des consommateurs.
Une combinaison inutile…
Concernant l’argument suivant, encore bien pire, il est prouvé depuis plus de 30 ans que les combinaisons de céréales et légumineuses ne sont absolument pas nécessaires, il n’existe nulle part une quelconque étude qui recommanderait cela.
Il est aujourd’hui irresponsable et mal intentionné de répéter ce genre de bêtises. TOUS les acides aminés sont faits par les plantes avant d’être recyclés dans les animaux morts que nous consommons. Il n’y a absolument aucun besoin de combiner quoique ce soit car chaque plante comestible contient chaque acide aminé, dans des ratios différents. Il est pour ainsi dire impossible de manquer de protéines, du moment où les besoins en calories sont atteints (en gros, il suffit de manger à sa faim). Nous avons aussi ce qu’on appelle le pool d’acides aminés dans le foie, qui permet de stocker et recycler les acides aminés. Il n’y a donc aucun besoin de manger chaque acide aminé à chaque repas. Notre corps est particulièrement intelligent et capable de gérer tout cela sans que nous commencions à faire des calculs savants.
La méthionine, bon ou pas?
L’argument méthionine! Il se trouve que depuis 2009 (ça laisse quand même pas mal de temps pour se mettre à jour), la quantité de science indépendante qui étudie les vertus d’une alimentation pauvre en méthionine grandit exponentiellement. On utilise justement la restriction en méthionine comme agent anti-vieillissement (donc par extension anti-cancer, anti-maladies dégénératives et inflammatoires). La méthionine est un agent pro-oxydant, il produit des radicaux libres qui endommagent les cellules et leur ADN (ce qu’on appelle vieillissement cellulaire). Diminuer sa consommation, permet de protéger les cellules du vieillissement prématuré provoqué par les radicaux libres excessivement produits par la digestion de méthionine. (voyez les sources citées au bas).
Concernant la lysine… il y en a dans les céréales, juste assez peu. Mais on en trouve partout ailleurs, donc du moment où vous consommez autre chose que du blé, vous êtes couvert.e.
Le Calcium
Une autre aberration, citer le lait comme une bonne source de calcium. Ici je vous laisse consulter un autre article de plantastique sur le sujet, histoire que je ne me répète pas sans arrêt 😉
Oméga 3 = Poisson?
Cette fois (encore) un raccourci simpliste pour une question qui mérite bien plus que les 6 mots utilisés ici. Pour faire simple (il faut plus de 6 mots quand même), les oméga 3 sont des acides gras essentiels (donc indispensables dans l’alimentation) de chaines longues qui portent les noms ALA, EPA et DHA, en ordre croissants de longueurs. Notre corps utilise les EPA et DHA pour ses fonctions métaboliques, et doit donc allonger les ALA en EPA ET DHA pour pouvoir les utiliser. On trouve les EPA et DHA dans les poissons car ils consomment des micro algues qui en contiennent beaucoup, sinon on en trouve un tout petit peu dans la chair des animaux car, comme nous, ils font cette conversion. Les plantes ne contiennent que les ALA, sauf pour les micro algues citées avant.
Il se trouve que notre corps est parfaitement capable de transformer ces ALA en EPA et DHA, mais il y a quelques facteurs limitant à prendre en compte. La consommation d’oméga 3 d’origine animale diminue la conversion d’ALA en EPA et DHA, et la consommation d’oméga 6 (acides gras essentiels principalement contenus dans tous les produits animaux et les huiles végétales) limitent la conversion en chaines longues car ils dépendent du même enzyme pour ce travail. Comme les oméga 6 sont particulièrement abondants, c’est un vrai problème, même lorsque l’on ne mange pas de produits animaux.
Le vrai risque pour la santé de la consommation de poisson est le même que pour la viande, il ne contient aucune fibre, quasiment pas de vitamines et antioxydants, des graisses saturées et du cholestérol, des protéines acidifiantes, et en plus une grosse pollution de métaux lourds, DDT, et autres dioxines. Manger du poisson pour les oméga 3 c’est un peu comme fumer des cigarettes pour respirer de l’oxygène: beaucoup de pollution pour obtenir quelque chose d’essentiel qui pourrait venir sans tout cet accompagnement nuisible.
On trouve donc ces ALA dans les plantes, en particulier les graines de lin (fraichement moulues pour une meilleure absorption) et chia, il est recommandé pour un apport optimal d’en consommer 2 cuillères à soupe quotidienne (de l’une ou de l’autre, ou les deux combinées, c’est égal), et de limiter drastiquement sa consommation en huile (et en produits animaux et raffinés, bien entendu).
Pour ceux qui consomment régulièrement des huiles, certains experts recommandent de prendre un complément à base de micro algues quelques fois par semaine, mais là, on ne sait pas vraiment les besoins. Comme les omégas 3 sont bénéfiques spécifiquement pour leurs effets anti-inflammatoires ils sont probablement beaucoup plus importants pour une alimentation carnée inflammatoire et riche en huile, que pour une alimentation optimale 100% complète végétale (Whole Food Plant Based Diet). Sachant qu’il est difficile d’avoir une alimentation parfaite, il pourrait être judicieux de complémenter quelques fois par semaine.
(Les sources sont au bas.)
Et le Zinc alors?
Comme pour tout le reste, les plantes sont une bonne source de zinc, il suffit de consommer régulièrement les aliments les plus riches comme les légumineuses, céréales, flocons d’avoine, quinoa, graines de chia, lin, chanvre et courge, le tofu… En plus on améliore sa consommation en micronutriments, que du bon!
La question du fer!
Sur la même lancée, il serait judicieux de vous mettre à jour concernant le fer. Encore une fois, le vieux manuel de cours jamais mis à jour, agréé par la SSN est gravement obsolète et véhicule des mythe injustifiés et des mensonges.
Il n’y a aucune différence d’occurrence d’anémie en fer chez les végétariens ou véganes, comparé aux carnistes. Ceci est encore une fois une croyance démystifiée depuis des années, mais il semble que ce genre de faits scientifiques n’atteignent pas les diététiciens qui s’en tiennent à répéter ce qu’on leur a appris.
Héminique / non héminique
Concernant les différences entre le fer héminique et non héminique, là encore, on déforme la vérité en ne précisant qu’une partie des faits. En effet, le fer héminique est mieux absorbé que le fer non-héminique, mais c’est justement son gros défaut. Le fer héminique est hautement oxydant, il crée des radicaux libres qui endommagent les cellules et l’ADN (ça vous rappelle peut-être quelque chose?) et est donc un facteur directement lié aux maladies cardiovasculaires, cancers et autres maladies inflammatoires chroniques dont nous souffrons en occident. Les études nous montrent justement des corrélations entre la consommation de fer d’origine animale et toutes les maladies chroniques typiques occidentales. (Voyez les sources citées au bas).
Notre corps est intelligent et va absorber le fer non-héminique dans les quantités nécessaires variant chaque jour selon nos besoins, ni plus, ni moins.
Le conseil qu’il faudrait donc donner à vos lecteurs serait plutôt de limiter au maximum le fer héminique pour protéger leur santé, et pour celles et ceux qui sont carencés en fer, d’augmenter les facteurs favorables comme la vitamine C (riches dans les fruits et les légumes) en même temps que les aliments riches en fer (légumineuses, légumes verts, graines et noix), et de limiter les facteurs limitants comme le thé ou le café par exemple, et de les consommer uniquement en dehors de repas.
L’anémie en fer est en effet un gros problème pour la population, mais aucune étude ne montre que manger de la viande (même les horreurs citées dans votre article) ait un quelconque effet positif. Au contraire.
Voilà. Alors s’il vous plaît, cessons les mensonges et les fausses croyances.
Il serait vraiment rafraîchissant que les médias demandent de rédiger des articles comme ceci à des personnes qualifiées, qui lisent la science indépendante de qualité qui existe, et qui se tiennent à jour.
Cordialement,
Dre Laurence Froidevaux
Article (cliquez pour agrandir)
Sources V. Agrawal, S. E. J. Alpini, E. M. Stone, E. P. Frenkel, A. E. Frankel. Targeting methionine auxotrophy in cancer: discovery & exploration. Expert Opin Biol Ther 2012 12(1):53 - 61. M. F. McCarty, J. Barroso-Aranda, F. Contreras. The low-methionine content of vegan diets may make methionine restriction feasible as a life extension strategy. Med. Hypotheses 2009 72(2):125 - 128. M. López-Torres, G. Barja. Lowered methionine ingestion as responsible for the decrease in rodent mitochondrial oxidative stress in protein and dietary restriction possible implications for humans. Biochim. Biophys. Acta 2008 1780(11):1337 - 1347. P. Cavuoto, M. F. Fenech. A review of methionine dependency and the role of methionine restriction in cancer growth control and life-span extension. Cancer Treat. Rev. 2012 38(6):726 - 736. D. E. Epner. Can dietary methionine restriction increase the effectiveness of chemotherapy in treatment of advanced cancer? J Am Coll Nutr 2001 20(Suppl 5):443S-449S; discussion 473S-475S. L.M. Arterburn, H.A. Oken, J.P. Hoffman, E. Bailey-Hall, G. Chung, D. Rom, J. Hamersley, & D. McCarthy. Bioequivalence of Docosahexaenoic acid from different algal oils in capsules and in a DHA-fortified food. Lipids, 42(11):1011-1024, 2007. Kornsteiner, I. Singer, & I. Elmadfa. Very low n-3 long-chain polyunsaturated fatty acid status in Austrian vegetarians and vegans. Ann Nutr Metab, 52(1):37-47, 2008. K Lane, E Derbyshire, W Li, C Brennan. Bioavailability and potential uses of vegetarian sources of omega-3 fatty acids: a review of the literature. Crit Rev Food Sci Nutr. 2014;54(5):572-9. J Greene, S M Ashburn, L Razzouk, D A Smith. Fish oils, coronary heart disease, and the environment. Am J Public Health. 2013 Sep;103(9):1568-76. J Greene, S M Ashburn, L Razzouk, D A Smith. Letters re: Fish oils, coronary heart disease, and the environment, Letters, e4-5, Am J Public Health. 2013 Nov;103(11). C Bergkvist, M Kippler, S C Larsson, M Berglund, A Glynn, A Wolk, A Åkesson. Dietary exposure to polychlorinated biphenyls is associated with increased risk of stroke in women. J Intern Med. 2014 Sep;276(3):248-59. W J Crinnion. Polychlorinated biphenyls: persistent pollutants with immunological, neurological, and endocrinological consequences. Altern Med Rev. 2011 Mar;16(1):5-13. A V Saunders, W J Craig, S K Baines, J S Posen. Iron and vegetarian diets. Med J Aust. 2013 Aug 19;199(4 Suppl):S11-6. doi: 10.1016/j.ijcard.2013.12.176. A Fonseca-Nunes, P Jakszyn, A Agudo. Iron and cancer risk--a systematic review and meta-analysis of the epidemiological evidence. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2014 Jan;23(1):12-31. doi: 10.1158/1055-9965.EPI-13-0733 J Hunnicutt, K He, P Xun. Dietary iron intake and body iron stores are associated with risk of coronary heart disease in a meta-analysis of prospective cohort studies. J Nutr. 2014 Mar;144(3):359-66 doi: 10.3945/jn.113.185124.
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Concernant le fer, certaines personnes absorbent très très mal le fer végétal (ceci même en mettant en place les conseils de que vous donnez) et sont donc obligées de manger de la viande rouge pour que le taux de fer reste correct. Donc, non, tout le monde ne peut pas se passer de fer animal. Peut-être devriez-vous être aussi un peu plus ouverte à ce que chaque cas est différent et éviter de faire des généralités, comme dans l’article que vous mettez en cause.
Quelles sont vos sources? Il n’existe, à ma connaissance, aucune étude qui ne montre cela.
Ce que je vois empiriquement avec mes patients est justement le contraire. Quand on enlève les produits animaux de l’alimentation, on augmente la quantité de fibres, donc on améliore la qualité de la flore intestinale ce qui ensuite améliore l’absorption du fer. J’ai plusieurs patientes qui étaient anémiques en mangeant des produits animaux et qui ne le sont plus aujourd’hui, après avoir arrêté.
Et parmi mes patients, je n’ai jamais vu personne améliorer son anémie en mangeant plus de viande rouge (ni les autres d’ailleurs). (Et ça fait 15 ans que je vois des dizaines de patients par jour). Ceci est corroboré par la science indépendante actuelle (une partie citée au bas de mon article). On ne peut pas utiliser les « je connais quelqu’un qui connait quelqu’un » pour prouver quelque chose.